Ce type de jardin porte plusieurs noms et sème généralement la confusion dans l’esprit des gens. Une forêt…n’est-ce pas un espace sauvage avec de grands arbres? Et si c’est nourricier, est-ce que ça veut dire qu’une forêt nourricière vise à produire de la nourriture dans une forêt? Ou bien cela fait référence à la cueillette de produits comestibles dans la forêt (aussi appelés « produits forestiers non ligneux », ou PFNL, comme les petits fruits, les feuilles aromatiques, etc.)? Ou encore, est-ce que c’est un verger d’arbres fruitiers? Bien qu’il y ait plusieurs similitudes entre ces pratiques et la forêt nourricière, ce n’est pas tout à fait ça. Quand on parle de forêt nourricière, on parle plutôt d’un concept de jardin qui s’apparente à une forêt. Il s’agit donc de cultiver comme la forêt, et non pas dans la forêt.
Ainsi, créer une forêt nourricière revient à s’inspirer de la forêt comme modèle pour faire notre jardin. Ce concept origine du monde anglophone portant le nom de Food Forest, puis a été repris dans plusieurs parties du monde. En France, on le nomme souvent jardin-forêt, forêt comestible ou même jardin d’Éden. Bien que tous ces termes soient partis de la même idée, chaque région a fait évoluer le concept à sa manière et l’a adapté aux spécificités locales de l’environnement.
« Forêt nourricière » est un terme inventé par Wen Rolland, horticulteur et permaculteur propriétaire de l’entreprise québécoise Design écologique : la permaculture à votre service , basée dans les Laurentides. Wen est l’un des premiers Québécois à s’être informé sur les premiers modèles de food forest, et il trouvait que les traductions françaises du concept ne rendaient pas suffisamment hommage à la profondeur et à l’intégralité des modèles anglais. Ainsi, pour lui, une forêt nourricière n’est pas seulement un jardin-forêt avec des plantes comestibles. En utilisant le terme « nourricier », Wen voulait plutôt désigner l’idée qu’un jardin-forêt devrait viser à nourrir non seulement les besoins physiques ET psychologiques des humains (comme le besoin de voir de la beauté ou de réduire le stress) en plus de soutenir et améliorer tout l’écosystème (le sol, les pollinisateurs, la faune ailée, etc.).
Jardiner comme la forêt
La forêt nourricière est un modèle très simple à comprendre, mais qui peut devenir plus complexe lorsque c’est le temps d’en concevoir les détails. Malgré tout, je préfère essayer de simplifier les choses pour donner envie au débutant de s’essayer lui aussi, car je crois que ces connaissances sont pertinentes et accessibles pour tout le monde. Les principes de conception d’une forêt font l’objet d’un autre article par ici. Mais avant de le lire, pour partir sur de bonnes bases, revoyons autrement ce qu’est une forêt nourricière:
Une forêt nourricière est une sorte de jardin qui mélange de façon unique l’aspect et les avantages d’une forêt, d’un aménagement paysager comestible et d’une plate-bande ornementale.
- Ce n’est pas une forêt, parce que ce n’est pas un espace qu’on veut sauvage, mais bien cultivé.
- Ce n’est pas un aménagement paysager comestible, car le but n’est pas seulement d’aménager un parterre avec des plantes comestibles.
- Ce n’est pas une plate-bande ou un jardin ornemental (ce que les gens ont généralement en tête lorsqu’on parle de jardin et qui est probablement le type le plus répandu), parce que le but n’est pas uniquement de créer un aménagement esthétique.
- Ce n’est pas non plus un potager, car le but n’est pas seulement de cultiver des végétaux, ou même des fruits, et d’en optimiser les récoltes.
- Finalement, ce n’est pas un verger, car même si on peut retrouver certaines espèces végétales dans les deux types de plantation, un verger (généralement du moins, dans sa forme classique), n’est pas conçu à partir du modèle de la forêt.
On reconnait donc une forêt nourricière non seulement au choix des espèces végétales qui seront utilisées, mais aussi à la manière dont les espèces végétales seront agencées ensemble et à l’objectif derrière la plantation. On peut utiliser les mêmes ingrédients, mais la recette est différente.
Toutefois, il est pertinent de rappeler que chaque designer de forêt nourricière garde toujours sa liberté de s’inspirer davantage d’une de ces catégories de « jardin » plutôt que d’une autre pour créer un espace modelé à ses besoins. Un concept commun permet de partir du même point de référence que les autres personnes s’intéressant aux forêts nourricières, mais il est aussi fait pour évoluer.
Éléments à retenir d’une forêt sauvage
Jardiner comme la forêt, ça veut dire que le designer doit observer la manière dont pousse et s’organise une forêt, comprendre l’écosystème forestier et s’en inspirer pour planifier son jardin.
Notamment, on peut relever quelques éléments d’une forêt sauvage qu’on va chercher à reproduire:
- Les plantes sont vivaces ou bisannuelles : les arbres et les arbustes sont toujours là et grandissent à chaque année, tandis que les plantes herbacées se ressèment toutes seules ou repoussent d’elles-mêmes à partir de leurs racines chaque printemps.
- L’espace est plein: il n’y a aucun vide au sol et les plantes occupent tous les étages, y compris sous-terrain (trois dimensions, trois étages ou plus).
- Chaque plante a un rôle (fonction écologique): certaines plantes sont là pour apporter de l’engrais aux autres plantes (comme les fixatrices d’azote et les accumulatrices dynamiques), d’autres sont là pour attirer les pollinisateurs et augmenter le taux de production fruitière dans les arbres et arbustes (comme les mellifères), ou encore pour éloigner les insectes ravageurs (comme les aromatiques), et ainsi de suite.
- La forêt évolue et son aspect se modifie avec le temps (succession écologique) : par exemple, au fur et à mesure que les arbres grandiront, les plantes basses qui ont besoin de plus de soleil disparaîtrons pour laisser place à des plantes qui préfèrent les conditions ombragées d’un sous-bois.
Éléments à adapter d’une forêt sauvage
Mais puisque nous ne souhaitons pas recréer une forêt sauvage, il y a aussi des éléments que nous devons modifier pour obtenir les avantages que nous désirons, notamment:
- Une forêt est généralement assez sombre. Nous voulons plus de luminosité qui pénètre dans notre jardin pour y cultiver des plantes productives qui ont besoin de plus de lumière.
- Une forêt est un milieu très compétitif pour les plantes. Dans notre forêt nourricière, nous allons faire en sorte d’offrir autant que possible les conditions optimales à chaque végétal choisi et en réduisant en grande partie la compétition.
Ainsi, il serait utile de réfléchir à notre forêt nourricière en se basant davantage sur le modèle d’une forêt sauvage arrivée environ à la moitié de sa maturité (mi-succession), âgée d’une quinzaine d’années environ, dans laquelle la densité des végétaux est plus faible et les arbres sont plus bas.
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Pourquoi créer une forêt nourricière?
Vous avez déjà compris qu’une forêt nourricière a l’avantage d’offrir des récoltes comestibles ainsi qu’un espace relaxant et agréable, ce qui déjà, en soi, serait suffisant pour en aménager une.
Mais je voudrais surtout vous faire réaliser que ce type de jardin apporte deux autres avantages très importants (et même plusieurs autres, mais on va garder ça simple!) :
- Sauver du temps d’entretien à long terme
- Régénérer l’écosystème (en d’autres termes, soigner la planète).
En effet, vous le savez, personne n’a besoin d’entretenir une forêt pour qu’elle pousse. Ainsi, les feuilles des végétaux qui tombent à l’automne restent au sol tout l’hiver et se décomposent lentement, apportant ainsi l’engrais nécessaire à la croissance des plantes. De plus, les « mauvaises herbes » servent de couvre-sol en empêchant le sol de se dessécher, et permettent aussi de retenir tout le sol en place grâce à leurs racines – comme le font aussi les arbres (ce qui évite que le vent ou la pluie emporte chaque fois des petites particules de sol et diminuent la couche de terre sur place, phénomène qu’on nomme l’érosion).
Bref, dans une forêt nourricière, il y a quand même de l’entretien à faire (surtout au début pour permettre aux arbres encore petit de bien s’implanter), mais il y en a de moins en moins au fur et à mesure que la forêt prend de la maturité. Comme dans une forêt il y a un fouillis d’herbes, la notion de « désherbage » prend un autre sens dans un tel jardin. Il n’est pas nécessaire d’enlever toutes les mauvaises herbes (car elles peuvent aussi être utiles!), mais seulement celles qui pourront nuire à nos plantes favorites, si elles poussent trop près d’elles, par exemple.
Et comme le sol ne s’érode pas et le matériel végétal se dépose au sol chaque année, une couche de terre s’accumule d’années en années dans une forêt, ce qui garde l’écosystème en bonne santé et permet même d’améliorer la fertilité et la vitalité de la forêt avec le temps.
Finalement, vous avez sûrement déjà entendu parler du fait que les arbres permettent de capturer le gaz carbonique dans l’air et de l’enfoui dans le sol, ce qui aide à la régénération de l’atmosphère. Il est intéressant de savoir que les plantes herbacées (les petites plantes vertes qui ne produisent pas de bois) en capturent encore plus, et en particulier lorsqu’elles sont en croissance active (après avoir été coupées, par exemple).
C’est pourquoi dans nos forêts nourricières à nous, on va créer un milieu propice pour laisser beaucoup de place aux petites plantes vigoureuses (en laissant par exemple beaucoup d’espace entre les arbres) et on va constamment les couper au tiers de leur hauteur, et les laisser repousser ensuite, en déposant les feuilles coupées directement sur le sol de notre forêt nourricière, au pied des plantes. Les permaculteurs nomment cette habitude d’entretien le « chop and drop« , ou le « couper-déposer » en français. (Les méthodes d’entretien d’une forêt nourricière sont détaillées dans autre article).
Avec cette stratégie, l’environnement près de la forêt (le sol, et l’air) s’améliore assez rapidement. Même si on ne voulait pas des récoltes d’une forêt nourricière, ça vaudrait la peine d’en implanter une juste pour « sauver la planète ».
Où aménager une forêt nourricière?
Plusieurs endroits peuvent permettre l’aménagement d’un tel jardin, mais il est important de comprendre que plus le milieu est sauvage ou déjà végétalisé (comme dans une prairie ou un champ en friche), plus il sera difficile et long d’établir une forêt nourricière, car il faudra avant éliminer la végétation en place, y compris une bonne parties des racines. Il semblerait qu’il soit possible, mais très difficile d’établir une forêt nourricière à l’intérieur même d’une forêt ou d’une plantation d’arbres.
Pour ma part, je préfère me faciliter la tâche et m’en tenir à l’expérience urbaine des forêts nourricières, car je trouve que c’est un modèle de jardin idéal pour la ville, dans les espaces gazonnés ou dans les espaces où la pelouse peine à s’installer. Cela permet d’embellir rapidement, à notre choix, une petite ou une grande zone urbaine, et de ramener un peu de nature en ville, ce qui manque la plupart du temps.
Il est donc idéal de partir d’une pelouse pour créer votre forêt nourricière, ce qui non seulement sera beaucoup plus facile pour vous à implanter et aussi qui favorisera la croissance des plantes, mais en plus, cela réduira la grandeur de votre espace à tondre toutes les semaines.
(La méthode d’implantation d’une forêt nourricière est aussi décrite dans un autre article.)
Finalement, la forêt nourricière pour moi, c’est un peu comme de la nature à emporter!
P.S. Comme ma mission est de vulgariser les notions de design de jardin, j’aimerais que vous m’écriviez vos questions en commentaires si quelque chose n’était pas assez clair ou assez détaillé!
Extrêmement intéressant et « nourrissant »!! Bravo, c’est absolument magnifique et impressionnant ce travail de « fond » pour faire « grandir » la vie dans le respect et l’harmonie.
Merci à toi Isabelle
Félicitations ! Que du bon sens !!